SOS CONSO
17 Mars 2016
Le blog de Rafaele Rivais, journaliste au
Monde.
Le croque-mort continue d’exercer malgré l’interdiction
On ne peut appeler les Pompes Funèbres Premium que sur un téléphone
mobile, bien que les
Pages jaunes leur
donnent une adresse physique : 20 bis rue Louis-Philippe, 92 200
Neuilly-sur-Seine. Un homme décroche. Lorsque l'on lui demande quels
sont les horaires d'ouverture de son magasin, il répond, agacé, qu'il
n'a pas de magasin, mais qu'il peut venir à votre domicile, avec ses
catalogues de fournisseur.
Cet homme, c'est Hubert Pautrat. Le tribunal de commerce de Paris a
prononcé sa faillite personnelle, le 28 octobre 2015. Il a fixé la durée
de cette mesure à quinze ans. L'intéressé n'a donc plus le droit de
diriger un établissement de pompes funèbres, en
vertu de l'article L 2223-24 du code général des collectivités
territoriales.
Le tribunal de commerce de Paris a aussi interdit à sa mère, Micheline
Gaudry, alors âgée de 88 ans, " de
diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement,
toute entreprise commerciale ou artisanale" pendant
cinq ans.
Le ministère public avait reproché à M. Pautrat, dirigeant de fait de la
Sarl Pompes Funèbres Direct, située 78 rue de la Pompe à Paris (16e
arrondissement) et à Mme Gaudry, gérante "de
paille", d'avoir "fait
preuve, dans la gestion de l'entreprise, d'une méconnaissance coupable
des obligations qui s'imposent à un chef d'entreprise". En outre,
une faillite personnelle avait déjà été prononcée à l'encontre de M.
Pautrat en 2014.
Peu importe. Quelques jours après ce jugement, soit le 2 novembre 2015,
M. Pautrat a fait immatriculer au registre du commerce et des sociétés
de Nanterre et de Paris une société de droit étranger, Luxadvance
Consulting, SL, dont le siège se trouve à Barcelone (Espagne). Elle est
spécialisée dans les "pompes
funèbres et activités annexes, vente d'articles funéraires, travaux
d'impression". Cette société a plusieurs noms commerciaux : "Pompes
funèbres Premium", "Sos soin décès", "Crémation Plus" et "PFRG".
Le gérant à l'étranger est M. Pautrat et la responsable en France
Micheline Gaudry, qui fêtera le 19 mars son 90 ème anniversaire. Ils
louent une boîte aux lettres auprès auprès de la société de
domiciliation d'entreprises SDM
Tromperie
et escroquerie
M. Pautrat a eu son heure de gloire: c'est lui qui s'est chargé des
funérailles de Serge Gainsbourg ou d'Yves Mourousi. Mais cela fait des
années que des familles moins célèbres se plaignent de ses manières
(doubles facturations, dureté, chantage... ) auprès de l'Association
française d'information funéraire (Afif), et l'on ne compte plus les
jugements qui l'ont condamné. En octobre 2010, la Cour de
cassation a rejeté un pourvoi de M. Pautrat contre un arrêt de la cour
d'appel de Paris, en date du 2 février 2010, qui condamnait la société
Pompe Funèbres Rive Gauche pour escroquerie. L'affaire remontait à
l'année 2005. Une famille accusait M. Pautrat d'avoir signé des ordres
de virement en faisant croire qu'ils venaient du fils de la défunte,
alors que celui-ci n'avait jamais eu de pouvoir sur le compte de sa
mère. M. Pautrat répondait qu'il avait le droit de faire des
prélèvements sur le compte bancaire des la défunte, sans autorisation
des héritiers, alors que c'est illégal. En mars 2011, la
cour d'appel de Paris a condamné M. Pautrat à une amende délictuelle et
à une peine d'emprisonnement avec sursis de quatre mois pour "tromperie
sur la nature, la qualité substantielle ou la quantité d'une
marchandise", ainsi qu'à deux amendes contraventionnelles pour "vente
de produite ou prestation de service sans respect des règles
d'information du consommateur sur les prix et conditions de vente".
Il avait été poursuivi par le parquet, après qu'une quinzaine de clients
eurent déposé des plaintes, entre 2003 et 2006, et que la direction
générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des
fraudes eut diligenté une enquête. "Il
a été condamné à nous verser des dommages et intérêts, mais il ne l'a
pas fait, et les huissiers n'ont pas trouvé d'argent sur ses comptes",
indique l'une de ses victimes qui s'était portée partie civile.
Habilitation suspendue
En août 2012, la
Préfecture de police de Paris a, fait rarissime, suspendu l'habilitation de
la société de M. Pautrat, alors dénommée « A
AAB Pompes Funèbres Rive Gauche ». Peu importe : il a continué à
travailler en utilisant à l'habilitation délivrée par la préfecture de
la Nièvre à une autre société, les "Pompes
Funèbres Gaudry", dont la gérante était sa mère.
Pourquoi la Préfecture de police de Paris a-t-elle suspendu son
habilitation ? Officiellement, c'est à la suite de l'arrêt de la cour
d'appel du 16 mars 2011. Mais c'est une autre affaire, dénoncée par la
profession, qui l'a décidée à agir :l'enlèvement
du corps d'un défunt.
M. Y... étant décédé, sa veuve fait appel à M. Pautrat pour organiser
ses obsèques; elle a fait un chèque de caution puis s'est ravisée,
préférant ne verser qu'un acompte de 30 %, en précisant qu'elle paierait
le solde après les obsèques, sous huitaine, comme le veut l'usage en
matière de prestation de services. Le gérant, estimant
s'être fait gruger, a fait conduire le corps dans le dépôt de son
transporteur, en Seine-Saint-Denis, et indiqué qu'il ne le rendrait à
temps pour l'enterrement que si la veuve payait tout de suite la
totalité de la somme. La famille a alors fait appel à la Maison Henri de
Borniol pour récupérer le corps et le conduire au funerarium.
M. Pautrat a continué de sévir. Mais ce n'est pas sa manière de
traiter ses clients qui lui vaudra de comparaître à nouveau devant la
justice. Ce sont des soupçons d'abus de bien social et de blanchiment
d'argent. Mis en examen en janvier 2014 par la juge du pôle financier de
Paris Patricia Simon, il devra comparaitre devant le tribunal
correctionnel de Paris, à une date qui n'est pas encore fixée. En
attendant, il est placé sous contrôle judiciaire.
Etonnant qu'il puisse continuer de diriger son entreprise, non ?
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