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 Janvier 2013

 

Pompes funèbres : tous les coûts sont permis

Les professionnels du funéraire sont maîtres dans l'art de maximiser leur chiffre d'affaires. Et à l'heure d'enterrer un proche, les familles n'ont pas à cœur de faire le tour des enseignes pour faire jouer la concurrence.
Las, la loi ne réfrène aucun abus tarifaire.

 

DROIT
Enquête:
Bernard Genès


C'est entendu, la vie n’a pas de prix. Mais la quitter coûte de plus en plus cher.
« Depuis une quinzaine d'années, le marché funéraire stagne ou recule légèrement en volume, alors que sa hausse en valeur est substantielle. D'un côté, - 1 % et de l'autre + 63 % », constate la so­ciété d'études Xerfi-Precepta, dans son analyse de l'évolution du secteur, publiée en mars 2012. En clair, le « pouvoir de marché écrasant» des entreprises sur leurs clients a permis de leur vendre toujours plus de produits et de services. Toujours plus cher aussi, les prix des prestations funéraires, obligatoires ou pas, étant totalement libres.


Rentabilité à deux chiffres pour les entreprises du secteur

En quinze ans, selon l'Insee, les tarifs des services funéraires ont augmenté de 53 %, deux fois plus vite que l'inflation. « la profession affiche d'ailleurs de solides niveaux de rentabilité, poursuit Xerfi-Precepta, même s'ils baissent -. avec un retour sur fonds propres de 15 % en 2011. Ainsi, le" fonds d'investissement détenant le leader du secteur, OGF, qui occupe 20 % du marché sous les enseignes PFG, Roblot, Dignité Funéraire ..., peuvent savourer un résultat net de 55 millions d'euros pour 530 millions de chiffre d'affaires sur le dernier exercice. La crise n'épargne cependant pas le funéraire. Depuis 2010, souligne Xerfi-Precepta, elle contraint les professionnels à limiter leurs hausses de tarifs, et leur chiffre d'affaires ne devrait progresser que de 1 % en 2012 et de 1,5 % en 2013. Un juteux business, dont d'autres profitent également: les banques aussi ont souvent la main lourde en la circonstance
(voir encadré ci-dessous).
Si le droit de la consommation protège les clients en situation dite de fragilité, la vulnérabilité des familles organisant les obsèques d'un proche, elle, n'est pas prise en compte ! Ainsi, le législateur a-t-il jugé nécessaire, par exemple, de conférer des droits particuliers à une personne démarchée à son domicile ou par téléphone. On estime que ce client, pris au dépourvu par le démarcheur, n'a pas eu la lati­tude de mûrir son intention d'achat. C'est pour cette raison qu'un délai de rétractation lui est dû.

Même mort, il faut banquer
Toutes les banques ont, dans leurs tarifs, une rubrique « frais de succession» à prélever sur les avoirs du défunt. Il suffit que le solde du compte ou des placements atteigne un seuil relativement modeste: 200 euros à La Banque Postale ou chez BNP Paribas, 1 000 euros chez LCL ou 2 000 euros à la Caisse d'Epargne Ile-de-France, D'autres, en revanche, facturent ces frais au premier euro. Selon l'importance des avoirs, ces frais sont modulés, par tranches et / ou en pourcentage. Ainsi, BNP Paribas, au-delà de 3 000 euros, facture 80 euros plus 0,50 % du montant, avec un maximum de 750 euros .
Le CIC commence par empocher 120 euros de frais de dossier. Puis s'octroie 1 % des avoirs, avec un plafond de 570 euros. Enfin, cet établissement ajoute une énigmatique « gestion annuelle» de 120 euros. Bref, le défunt crédité de 50 000 euros au CIC rapporte post mortem 740 euros à son banquier.

Des clients vulnérables, mais sans protection légale
Autres « privilégiés» du droit de la consommation: les personnes dont l'état physique ou psychique est de nature à perturber leur jugement. Elles sont protégées par les disposi­tions spécifiques réprimant l'abus de faiblesse. En revanche, aucun régime dérogatoire au droit commun n'entoure les circonstances du décès d'un proche. Assurer une information des prix transparente permettant au consommateur de faire jouer au mieux la concurrence, voilà le seul garde-fou existant en la matière. Mais combien de familles ont le cœur, l'énergie, le temps et la disposition d'esprit nécessaires pour se livrer à une étude comparative des prix, à l'heure de mettre en terre un proche ? Légalement, tout professionnel est tenu de remettre un devis d'obsèques, gratuitement et sans engagement de la part du client. Depuis janvier 2011, il doit être conforme à un modèle réglementaire. Objectifs : faciliter la comparaison des prix entre diffé­rentes enseignes et distinguer les prestations obligatoires de celles facultatives. En effet, certains services et produits sont imposés par la loi dans l'organisation de funérailles. Cette obligation concernant la remise d'un devis normé est peu contraignante. Elle est pourtant assez mal respectée, selon une enquête de l'UFC Que Choisir, menée dans un millier de magasins de pompes funèbres. Et quand bien même le devis est réglementaire, comment savoir si ce qui y est proposé est correct, du point de vue des prestations ou des prix. Au cours de son enquête, l'association de consommateurs relevait des écarts « pharamineux ».

Le lucratif business des prestations facultatives
Et « la méthode commerciale est bien rodée, explique Bruno Grenier, responsable du syndicat Force Ouvrière des services funéraires. On commence par vendre toutes les prestations périphériques, fleurs, faire-part ... que vous pourriez acheter directement à un prestataire extérieur, puis les prestations funéraires facultatives, en terminant par celles auxquelles la législation vous oblige de toute façon à souscrire, convoi, inhumation ou crémation, cercueil ... » Parmi les principales prestations facultatives sur lesquelles l'entreprise va « faire du gras », figurent le transfert et le séjour du défunt, jusqu'aux funérailles, dans une chambre funéraire, disposant d'équipements de conservation des corps, de salons de réception, etc. Pourtant, rien ne l'impose. Huit fois sur dix, le décès a eu lieu à l'hôpital, et le défunt peut y rester. De même, s'il décède en maison de retraite, puisque c'était son domicile. Précision importante: si le transfert en chambre funéraire a lieu à l'initiative de l'établissement hospitalier ou de retraite, c'est à lui d'en supporter les frais. au moins pour les trois jours suivant le décès. Une astuce pour contourner cette règle est de faire demander le transfert par la famille. Plus rarement, le choix de la famille est biaisé par des personnels hospitaliers soudoyés par un gestionnaire de chambre funéraire. Deux ex-employés de la morgue de l'hôpital de Girac, à Saint-Michel, près d'Angoulême, sont actuellement poursuivis à ce titre.

Les soins de conservation proposés sont souvent inutiles
Les soins de conservation ou de thanatopraxie - facturés jusqu'à 352 eu­ros – ne sont pas une obligation, sauf cas très précis. Pourtant, certains devis les présentent comme prestations « réglementées ", jouant sur les mots pour semer la confusion dans les esprits. « Ils ne sont réellement utiles que dans 2 à 3 % des cas. Le reste du temps, une réfrigération du corps suffit, ce qui permet de ne pas utiliser du formol, nocif et polluant », s'indigne Michel Kawnik, de l'Association française d'information funéraire (Afif). Une association proposant aux familles des conseils gratuits (1). Les entreprises ne sont évidemment pas de cet avis ... compte tenu de la généreuse marge bénéficiaire sur une telle prestation, facturée 291 euros en moyenne. En février 2012, un dirigeant d'OGF indiquait en effet au comité d'entreprise du groupe que ces soins
« nous coûtent 129 euros en interne et on peut descendre à 116 euros en les sous-traitant », Quant à la toilette mortuaire et il l'habillage du défunt, ils sont souvent effectués par l'hôpital ou la maison de retraite. Ce qui n'empêche pas certaines sociétés de les refacturer systématiquement ... Toute entreprise offrira certainement aussi d'accomplir à votre place les formalités nécessaires aux obsèques, pour une somme forfaitaire de l'ordre de 300 euros. Cher payé ! Car, pour un professionnel bien organisé, ces démarches se résumeront le plus souvent à quelques coups de téléphone. La tendance est maintenant d'ajouter au devis conseils et accompagnement après les obsèques, avec des forfaits allant jusqu'à 600 euros.

Des assureurs ambigus
Vous pouvez souscrire un contrat d'assurance vie avec une clause bénéficiaire stipulant que le bénéficiaire du capital sera la personne qui aura effectivement payé vos obsèques. Si vous voulez non seulement financer, mais aussi organiser à l'avance vos obsèques, préférez un contrat « en prestations », sur la base d'un devis détaillé.
En 2011, le régulateur des banques et des assurances, l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), a demandé aux assureurs de faire preuve d'un peu plus de transparence dans leur communication sur ces contrats, jugeant l'information et les conseils fournis au public ambigus. Notamment quand on laisse croire à l'assuré que, s'il souscrit à la plus forte cotisation, il recevra forcément un capital décès suffisant pour couvrir l'intégralité de ses funérailles!

Une marge confortable sur les cercueils Pour en venir aux prestations léga­lement obligatoires, le transport du corps doit s'effectuer dans un véhicule funéraire spécifique. Avec souvent quelques ambigüités, telle la facturation séparée du transport après mise en bière et du convoi funéraire. « A se demander si une prestation n'est pas facturée deux fois », s'interroge l’UFC Que choisir. Obligatoire aussi, la fourniture du cercueil constitue à elle seule un tiers du chiffre d'affaires de la profession. Il semble que les vendeurs poussent moins que par le passé à la dépense sur ce poste. Il faut dire que même sur un modèle basique en sapin, de forme « sarcophage », la marge reste correcte. Il revient à environ 120 euros, selon Philippe Martineau, directeur général du réseau Le Choix Funéraire, pour un prix de vente moyen de 1 000 euros.
Mais, alors que la règlementation impose un cercueil de 18 millimètres d'épaisseur minimum en cas de cré­mation, des entreprises proposent des modèles standard, plus chers, car plus épais. Il est vrai qu'un tiers des obsèques se font déjà par crémation, la proportion ne cessant d'augmenter. Dès lors, explique un professionnel, « il fallait bien compenser le recul des inhumations tra­ditionnelles» et son impact sur le chiffre d'affaires.

Des écarts de prix énormes d'une entreprise à l'autre
La transparence des tarifs des prestations funéraires est censée permettre au consommateur de comparer les prix. Il y aurait tout intérêt, car les différences tarifaires sont parfois colossales. Mais dans les circonstances d'un deuil, le client n'est généralement pas à même de profiler de cette concurrence.
Au bout du compte, à quelle facture moyenne parvient-on dans le cadre d'une inhumation? La profession évoque habituellement une fourchette de 3 000 à 3 500 euros. Une façon d'accréditer l'idée que c'est le prix « normal » auquel il faut s'attendre. Coïncidence opportune : la loi autorise une entreprise funéraire à prélever 3050 euros sur les comptes d'un dé­funt pour ses obsèques. La majorité des devis recueillis par l'UFC ne dépassaient effectivement pas 3 500 euros, avec néanmoins un maximum de 6 100 euros. Mais, quand une dame âgée se trouve seule face à un vendeur de choc, on peut monter jusqu'à 10 000 euros, témoigne l'Afif.
De plus en plus nombreux sont ceux qui anticipent les frais de leurs propres obsèques via une assurance (voir encadré précédent) . Il est vrai que, pour certaines familles, payer la facture est devenu problématique. « Nous voyons de plus en plus de familles qui ont du mal à subvenir aux frais d'obsèques », reconnait Philippe Martineau. Pragmatiques, certains professionnels y ont vu l'occasion de développer un nouveau marché. Celui des funérailles low cost.

Le nouveau marché des obsèques low cost
En 2011, le réseau Le Choix Funéraire a lancé la marque Ecoplus Funéraire, avec des tarifs à partir de 1 250 euros. Quelques autres ont suivi. Même PFG, traditionnellement cher, propose une formule à partir de 1 750 euros. Mais, tempère Bruno Grenier, « c'est un produit qu'en interne on dissuade de vendre ».
A prix plancher, obsèques minimalistes. La prestation comprendra le cercueil, le transport en véhicule funéraire dans une limite de 15 à 30 km - avec un chauffeur et, au mieux, un seul porteur. Mais attention, toute prestation hors forfait est dès lors facturée au prix fort. 239,20 euros, par exemple, pour l'option « formalités administratives» de l'offre Revolution.obseques.fr des Services funéraires de la ville de Paris (SFVP).  A elle seule, cette option majore d'un tiers le prix de base annoncé de 789 euros. Vous voilà prévenu !

(1) Afif,   tél. : 0145449003.  site: Afif.asso.fr

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Association Française d'Information Funéraire