LA CHARENTE LIBRE

 21 mars 2013

 

Donner son corps à la médecine, un casse-tête

 Par Laurence GUYON

 

Donner son corps à la science est un geste civique parfois découragé par des pratiques déroutantes. Le donateur doit payer à l'avance une somme élevée. Une Charentaise raconte son parcours.

Marguerite, 82 printemps, était tout à fait disposée à faire don de son corps à la science. De sa maison de Saint-Yrieix, elle lâche en riant: "Je ne crois en rien. Que voulez-vous que je fasse de mon corps après ma mort ? Si ça peut servir à quelques étudiants..." Mais devant la bizarrerie des démarches, elle a renoncé, avec la sale impression qu'il s'agissait d'un nouveau "système pour plumer les vieux".

Au centre du don de Poitiers, on lui demande un certificat médical attestant qu'elle n'est porteuse d'aucune maladie contagieuse. Elle s'exécute sans difficulté. Plus déroutant, on lui demande de passer par un assureur pour régler les frais d'un montant de 950 euros. Ce n'est pas le prix qui la fait tiquer - "C'est moins cher qu'un enterrement", sourit-elle - mais le fait qu'on lui indique un assureur. Lequel lui envoie un dossier à remplir dans lequel on l'interroge sur le montant de son épargne disponible, l'estimation de son patrimoine, ses revenus mensuels. "J'ai eu le sentiment qu'on m'orientait sur un contrat d'assurance-vie durable. C'est une collusion public-privé que je trouve répréhensible." Méfiante, elle a arrêté net ses démarches.

"On est tous obligés de se débrouiller"

Le Pr Richer, responsable du centre de don du corps à Poitiers, soupire: "La loi dit que le don du corps doit être gratuit. Mais le traitement d'un corps, ça nous coûte plus de 1 000 euros, entre le transport, l'embaumement, l'incinération..." Le centre de Poitiers reçoit 40 corps par an. Ce qui représente plus de 40 000 euros."Comment on fait? Personne ne nous donne la réponse. On n'a aucune subvention et on ne peut pas financer ça. On est tous obligés de se débrouiller. Alors on passe par une assurance." Qui sert de support pour collecter l'argent dont le bénéficiaire sera, au moment du décès, la fac de médecine. "Qui ne peut pas refuser un don", lâche le Pr Richer.

Jean-Pierre Richer rassure: "À aucun moment ces sommes ne transitent par les mains d'un particulier. Et elles ne suffisent pas à couvrir les frais. On est en déficit." Et s'il conseille un assureur, c'est parce que "celui-là prend des frais minimes et qu'il ne profite pas de la situation. Mais rien n'empêche de passer par un autre."

Si l'assureur concerné, Jacques Vincent à Poitiers, envoie ce dossier "inquisitorial", selon les termes de Marguerite, c'est qu'il y est obligé par un règlement tatillon, explique-t-il. Il n'est pas surpris de la réaction de Marguerite: "On a affaire à une clientèle âgée qui ne comprend pas toujours. Et ça nous complique la tâche."

L'UFC Que Choisir, par la voix du conseiller Gilbert Fontaine, avoue son étonnement: "Le fait que ce soit payant signifie que les gens qui n'ont pas les moyens ne peuvent pas donner leur corps. Par ailleurs, le dossier à remplir est confus, complexe, avec des renseignements personnels."

À L'Afif (1), un organisme indépendant qui répond à toutes les questions touchant aux obsèques, c'est le montant demandé qui fait faire des bonds au président, Michel Kawnik: "950 euros? Ce n'est pas normal, on ne peut pas cautionner ça." Il s'en tient au texte de la loi: "Cette somme devrait financer uniquement le transport du corps. Ça coûte au maximum 300 euros, selon l'éloignement." Le Pr Richer ne voit que deux solutions pour en sortir: "Soit on change la loi, soit l'État nous donne les moyens de faire fonctionner nos centres du don." En attendant, Marguerite a préféré acheter une concession dans un cimetière.

(1) Afif, Association française d'information funéraire. Permanence téléphonique au 01 45 44 90 03. Site: afif.asso.fr

Comment donner son corps

Donner son corps à la science est un "geste civique", explique Michel Kawnik, président de l'Association française d'information funéraire. À l'ère des mannequins bourrés de technologie et du numérique qui permet de tout modéliser, les vrais corps restent irremplaçables pour les étudiants en médecine, mais pas seulement. "Ça sert pour la pédagogie et pour la recherche", justifie le Pr Richer, responsable du centre de don du corps de Poitiers. "Les étudiants font de la dissection, les internes s'entrainent aux gestes chirurgicaux, cite-t-il en exemple. Les réanimateurs travaillent sur les intubations difficiles. Sur les corps, on peut répéter les actes." Il ajoute: "Il y a tout un travail de recherche fondamentale qui est fait par ce biais en labo. Ça permet de tester l'implantation de nouvelles prothèses, l'adaptabilité de nouveaux matériaux." On peut aussi s'assurer que la technique qu'on a imaginée est bien réalisable et voir comment on peut l'améliorer.

"Pour bien faire, il nous faudrait 80 corps par an", estime Jean-Pierre Richer. Ce chirurgien, enseignant à la fac de médecine, doit se contenter de la moitié. Parce que donner son corps est un acte qui suscite des réticences et de la méfiance."Ce n'est pas dans la mentalité française, regrette le Pr Richer qui tient à rassurer : on travaille toujours dans le respect du corps du donateur." Si l'acte est rare, c'est peut-être aussi en raison d'obstacles règlementaires et administratifs qui découragent parfois les bonnes volontés, comme en témoigne Marguerite (lire ci-dessous).

Le donateur doit avoir fait connaître sa volonté de son vivant auprès du centre de Poitiers pour les habitants de la région (1). Au moment de son décès, il sera transporté en ambulance jusqu'au centre du don. "À partir du moment où il franchit ces portes, le corps devient anonyme, ce qui signifie que la famille ne pourra pas le récupérer", note le Pr Richer. Le corps du défunt y est soit congelé, soit embaumé, en attendant une future utilisation. Après quoi il sera incinéré et les cendres placées dans une tombe dédiée au cimetière de la Pierre-Levée à Poitiers. Chaque année, la fac organise une cérémonie pour rendre hommage à la mémoire des donateurs.

Centre du don du corps de Poitiers, faculté de médecine, 6, rue de la Milétrie, BP 199, 86034 Poitiers cedex; 05 49 45 43 51.

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