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10 décembre 2013

 

Le discret cadeau de l’Etat au lobby des pompes funèbres

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EXCLUSIF A défaut d’étendre la TVA à taux réduit qui prévaut partout ailleurs en Europe, le gouvernement a accepté de relever un plafond susceptible d’augmenter leur chiffre d’affaires.

 

Selon le président de l’Association française d’information funéraire, Michel Kawnick, la décision du gouvernement va se traduire par un relèvement des factures que font payer les sociétés de pompes funèbres aux Français touchés par un deuil. (C) AFP

 

L’arrêté est paru ce mardi 10 décembre au Journal Officiel. Le plafond des sommes qu’on peut soustraire du compte d’un défunt pour payer ses obsèques va passer de 3.050 à 5.000 euros. A première vue, c’est une bonne nouvelle. Au moins pour les Français qui n’ont pas les moyens de faire une avance de fonds à la société de pompes funèbres qu’ils ont choisi pour enterrer leur être cher. Car il faut ensuite attendre des mois voire des années que la succession soit réglée pour avoir accès au(x) compte(s) bancaire(s) du défunt. Pourtant, Michel Kawnik, le Président de l’Association Française d'Information Funéraire qui défend les intérêts des consommateurs, crie au scandale.

"Le lobby des pompes funèbres demandait depuis longtemps une réévaluation. Mais 5.000 euros c’est énorme. Songez que le prix moyen des obsèques est plutôt autour de 2.600-2.800 euros". Selon lui, cette décision va se traduire par une hausse des tarifs: "les sociétés de pompes funèbres demandent toujours comment leurs prestations seront réglées et quand il n’y a pas de contrats obsèques (NDLR: un Français sur cinq en détient un), elles se débrouillent pour savoir combien il y a sur le compte bancaire afin d’adapter leur devis".

20.000 francs depuis 1992

Les sociétés de pompes funèbres contestent ce risque inflationniste. "Si on, prend en compte tous les frais annexes (fleurs, prêtre, faire-part, publication dans la presse…) le prix moyen oscille aujourd’hui entre 3.800 et 4.500 euros et depuis 2010 cela n’augmente plus du fait de la crise", s’insurge Richard Feret, directeur général de la CPFM (Confédération des professionnels du funéraire et de la marbrerie).

Lire à ce sujet l'étude de Xerfi sur le marché des pompes funèbres.

Les professionnels du marché de la mort font remarquer de leur côté que le plafond antérieur n’avait pas été réévalué depuis 1992. A l’époque il avait été fixé à 20.000 francs (3.050 euros au cours officiel de l’euro). L’argument est recevable. A une nuance près. L’érosion monétaire ne justifie pas à elle seule une aussi forte réévaluation. A en croire le convertisseur automatique franc-euro de l’insee qui prend en compte l’inflation, 20.000 francs de 1992 équivalent à 4219,85 euros d’aujourd’hui. On est loin du nouveau plafond de 5.000 euros.

D’autant que l’arrêté du gouvernement prévoit de le réévaluer chaque année en fonction de l’inflation. "Nos coûts ont évolué plus vite que l’inflation, conteste Richard Feret, arguant des nombreux investissements que les collectivités locales leur ont imposés, comme la construction de maison du défunt".

La France applique une TVA à taux plein quand Bruxelles prône la TVA à taux 0

Si le lobby qu’il représente est parvenu à faire plier le gouvernement sur ce sujet c’est peut-être aussi parce que ce dernier a quelque chose à se faire pardonner. La Commission européenne autorise en effet les États membres de l’UE à exonérer de TVA, ou à appliquer un taux réduit, les prestations de service dans le domaine funéraire. Mais la France se refuse à appliquer cette directive. Seul le transport du corps bénéficie de la TVA à taux réduit en vigueur pour… tous les transports (7% aujourd’hui, 10% au 1er janvier 2014). Pour les autres services, c’est le taux normal qui s’applique (19,6% jusqu’au 31 décembre et 20% ensuite).

"La France est désormais le seul pays d’Europe à appliquer une TVA sur les services funéraires" assure le directeur général de la CFPM. Un sénateur socialiste, Jean-Marc Pastor a bien tenté d’interpeler Bercy sur les raisons justifiant cette exception fiscale qui selon ses calculs permet à l’Etat de gagner 185 millions d’euros par an. La réponse du ministère était un peu dans la question. "Cette mesure pèserait sur les finances publiques dans un contexte où le gouvernement est fermement engagé à réduire les déficits". C’était le 19 juillet 2012. Gageons que l’an prochain, l’Etat gagnera encore plus que 185 millions d’euros avec les quelques 40 à 55.000 Français qui meurent chaque mois.

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