LE PARISIEN
 

1er novembre 2010

 

TOUSSAINT

Pompes funèbres : un secteur lucratif

 

Manque de transparence, tarifs abusifs, certaines sociétés funéraires sont soupçonnées de profiter du malheur des personnes en deuil. Un décret doit aider à moraliser les pratiques d'un business qui rapporte.

Comment éviter le coup de bambou sur les prix pour l’organisation des obsèques qui tournent en moyenne autour de 3000 € ? La question est d’actualité en ce jour de Toussaint. « Le secteur funéraire est très opaque et les prix sont trop élevés. Certains abusent de la détresse des familles en deuil », estime Michel Kawnik, président de l’Association française d’information funéraire. Au contraire, les professionnels se défendent de toute mauvaise pratique : « Ce qualificatif d’opacité nous agace. Oui les prix sont libres, mais j’incite les consommateurs à comparer les prix et à faire jouer la concurrence en regardant sur Internet », indique Nelly Chevallier-Rossignol, déléguée générale de la Confédération des professionnels du funéraire et de la marbrerie.

Devis obligatoire

Une nouvelle tendance apparait sur le marché de la mort : Internet. Les sites consacrés au funéraire sont d’ailleurs en plein boom… et certains permettent même au défunt d’exister virtuellement. Dans la « vraie » vie, les choses évoluent aussi. Pour moraliser les pratiques douteuses en matière de prix, un arrêté du ministère de l’Intérieur rend obligatoire le « devis » à partir du 1er janvier prochain.
Mais selon l’UFC-Que choisir, « ce texte ne va pas assez loin en matière de transparence de prix ». Il reste beaucoup à faire pour stopper ces pratiques délictueuses qui ont été soulignées dans des rapports officiels, notamment celui de l’inspection générale des affaires sociales sur « la mort à l’hôpital » en novembre 2009. L’une de ces arnaques consiste à corrompre un membre du personnel de la morgue de l’hôpital afin qu’il donne aux familles démunies la « bonne » adresse de l’entreprise funéraire amie. Certaines entreprises sont même dans le collimateur de la justice. Aujourd’hui, une liste d’opérateurs funéraires doit être placée de façon bien visible dans les morgues. L’Igas préconise toutefois davantage de contrôles dans les chambres mortuaires des hôpitaux « pour éviter les fraudes les plus grossières ».
Marc Payet



Des devis uniformisés dès 2011

La Toussaint, fête catholique qui honore tous les saints, connus et inconnus, depuis… l’an 835! Des milliers de Français profitent de cette célébration pour se rendre au cimetière et se recueillir sur les tombes de leurs défunts. L’occasion également de se pencher d’un peu plus près sur le business qui entoure les rites funéraires.
En France, 3000 entreprises se partagent un chiffre d’affaires annuel de cinq milliards d’euros, de quoi aiguiser les appétits.

Cercueil low-cost ou plaqué or

Le coût moyen d’un enterrement en France varie entre 2500 € et 4000 €, selon le secrétariat d’Etat à la Famille. « De toute façon, on conditionne les gens au fait qu’un hommage, pour qu’il soit valable, doit être cher », remarque Michel Kawnik, de l’Afif (Association française d’information funéraire)*. Selon une enquête de l’UFC-Que choisir, un même cercueil vendu 444 € chez un opérateur, est retrouvé à 2918 € ailleurs. « Un même devis varie de 1586 € à 10248 € », indique encore l’association de défense des consommateurs. Les mairies offrent dans certains cas des aides financières, entre 400 € et 500 € en moyenne. Quant au prix même du cercueil (en moyenne 25% de la facture globale), il peut varier lui aussi considérablement. Place au low-cost avec le simple coffre en bois, voire en carton, comme le proposent désormais certains opérateurs surfant sur la vague du développement durable, avec des prix tournant autour de quelques dizaines d’euros. Une jeune entreprise nîmoise propose même des cercueils fabriqués à partir d’amidon de maïs et de pomme de terre, agrément ministériel garanti! Un cercueil personnalisé, en forme de guitare, de téléphone portable ou de voiture, pourra quant à lui atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros, surtout s’il est plaqué or ou incrustés de diamants !

Des surfacturations sur les poignées

Ce douloureux moment qui accompagne la mort d’un proche est malheureusement l’occasion pour quelques entreprises malintentionnées de gonfler les factures de leurs prestations; 80% d’entre elles, selon l’Afif, joueraient sur le désarroi des familles en ne leur expliquant pas la totalité de leurs droits, et pratiqueraient volontairement une politique tarifaire floue, ce qui constitue au regard de la loi un abus de position de faiblesse. L’une des arnaques les plus communément répandues concerne les poignées de cercueils. Certains marchands très astucieux en posent (et en facturent) 6, alors que 4 seulement sont nécessaires, soit une par porteur !

Des prix en hausse de 37 %

Un quart des entreprises refusent aujourd’hui encore d’établir un devis ou proposent des prestations optionnelles en les faisant passer pour obligatoires. Depuis l’ouverture du secteur funéraire à la concurrence il y a dix ans, les prix ont flambé de 37%, soit deux fois plus que le coût de la vie. Un décret du 23 août 2010 veut imposer, à partir du 1er janvier prochain, des devis avec une présentation plus uniformisée pour tous les opérateurs. Une mesure « largement insuffisante », estime l’association de consommateurs UFC-Que choisir. Le reproche? Ce décret n’empêcherait pas les différentes sociétés de s’entendre entre elles sur les tarifs, ni d’employer des termes vagues, laissant un large champ à l’interprétation. A l’instar de cette entreprise de pompes funèbres du XXe arrondissement, près du cimetière du Père-Lachaise, qui parle dans sa brochure de « mise à disposition de logistique humaine », sans explication ni tarifs précis !
* www.afif.asso.fr ou 01.45.44.90.03.
Erwan Benezet



Une société funéraire dans le collimateur de la justice

Créteil (Val de Marne)

Familles flouées, concurrents excédés, ancien salarié repenti... les témoignages s'amoncèlent sur les bureaux de la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA) à Paris. Mi-juin, le responsable des pompes funèbres Sportès, qui opère dans le Val-de-Marne, les Hauts-de-Seine et Paris, a  passé quelques heures en garde à vue. La BRDA et l'IGS, la police des polices, mènent l'enquête pour abus de confiance, faux, usage de faux et corruption de fonctionnaires. Aucune mise en examen n'a été prononcée pour le moment, mais les soupçons sont nombreux.
Des fonctionnaires ont-ils été corrompus ? Ce serait la clef de voûte du "système Sportès" : pour vendre aux familles endeuillées l'éventail de ses prestations (transport, préparation de corps, mise en bière et marbrerie), l'entreprise doit intervenir le plus tôt possible. Selon un ancien salarié (lire ci-contre) des professionnels du secteur, Sportès livrait des enveloppes et des caisses de vin dans les commissariats franciliens dans l'espoir d'être le premier appelé. "C'est faux, se défend L. S., responsable de réquisitions de police chez Sportès. Nous leur distribuons des stylos et des calendriers, c'est tout. Nous sommes les plus rapides, c'est pour ça que la police mous appelle."

Des pratiques douteuses

"Nous étions incités à démarcher les familles (NDLR : ce qui est illégal) par un système de primes : 27 € si nous récupérions un numéro de téléphone" témoigne un ancien salarié. Les familles interrogées décrivent toutes les mêmes manœuvres : au domicile du défunt, les agents des pompes funèbres Sportès leur proposaient d'organiser les funérailles; parfois ils prétendaient même en être officiellement chargés. "Nous connaissions une entreprise de pompes funèbres mais nous n'avons pas eu le temps de l'appeler, raconte A. P.. La police avait déjà contacté la société Sportès pour le transport. Quelques heures après, une employée a sonné chez nous en nous expliquant qu'elle était chargée du convoi. Elle s'est assise et a déballé son catalogue de fleurs et de cercueils".
Appelés pour évacuer un corps dans le cadre d'une réquisition de police pour "mort suspecte", les prestataires sont payés par le tribunal. Sportès aurait également tenté à plusieurs reprises de se faire payer une deuxième fois, par ses clients, en inscrivant sur des factures (que nous nous sommes procurées) "réquisition pour mesure d'hygiène à la charge des familles". "Ils m'ont réclamé 450 € pour transporter le corps de ma fille, alors que cette somme allait leur être payée par le tribunal, confirme C. D.
L. S., chez Sportès, se justifie : "Ces cas se sont produits que dans les Hauts-de-Seine. Le tribunal de Nanterre, en difficultés financières, nous avait annoncé qu'il ne paierait plus les réquisitions." Le secrétaire général du parquet de Nanterre conteste ces allégations.
La société est enfin soupçonnée de gonfler l'addition. " Sportès a réclamé 900 € pour le transport d'un corps d'Ivry à Vitry (NDLR : 2,5 km), se rappelle un gérant de pompes funèbres à Ivry. Pour une telle distance, moi, je fais payer 350 €". La société Sportès assure pourtant pratiquer des tarifs inférieur à la moyenne.
Lucas Bretonnier
   

"On livrait du champagne aux commissariats"


Un ancien salarié des pompes funèbres Sportès

Alain* a travaillé plusieurs années au sein de la société Sportès.
Interrogé au mois de septembre par l'inspection générale des services (IGS) sur la nature des liens qu'entretenait son ancien employeur avec certains officiers de police, il leur a livré un récit édifiant : "Avec mes collègues, nous étions parfois chargés de porter des enveloppes et des caisses de vin et de champagne dans certains commissariats du Val-de-Marne et des Hauts-de-Seine. Ce n'était pas systématique. C'était surtout dans le périodes où nous étions moins appelés par la police pour transporter des corps. C'était une manière de relancer la machine en quelque sorte. Je n'ai jamais su ce qu'il y avait dans les enveloppes. Mais, chaque fois, les officiers nous disaient : Vous remerciez votre patron ! Nous avons livré comme ça les commissariats de Créteil, Ivry, Vitry, Clamart, Nanterre ou encore Malakoff."
L. B.
* Le prénom a été changé


 

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Association Française d'Information Funéraire