A LA LOUPE

7 juin 2019

 

Le luxe de mourir à Paris

 

En 2017, 14 000 personnes sont décédées dans la capitale. Mais face aux tarifs pratiqués dans les pompes funèbres et au manque de place dans les cimetières, mourir à Paris devient vite un luxe.

 

Mourir coûte de l’argent, beaucoup d’argent. Il faut compter en moyenne en France 3 350 euros pour une inhumation et 3 609 euros pour une crémation selon UFC Que Choisir. Et négocier est la règle pour ceux qui en ont le courage.

Michel Kawnik est président de l’Association Française d’Information Funéraire, il gère « le seul site internet sur le funéraire où rien n’est à vendre ». Sur une journée il reçoit environ quinze appels de familles endeuillées. « On conseille avant de signer un devis, d’appeler plusieurs pompes funèbres et de comparer leurs tarifs, car les coûts peuvent doubler, tripler d’une enseigne à l’autre » indique le président de l’association basée à Paris.

« C’est un marché où les familles sont prises en otage, explique Michel Kawnik, elles sont déstabilisées et ne connaissent pas la législation, ni leurs droits. » En 2018, la Répression des Fraudes (DGCCRF) montrait dans son bilan annuel que 67% des pompes funèbres contrôlées présentaient dans leurs devis des anomalies.

« C’est un vrai business, et ce n’est pas normal » déplore Frédéric[1], dirigeant d’une agence de pompes funèbres indépendante en banlieue parisienne. Installé à son compte depuis moins de cinq ans, il pointe du doigt les marges que réalisent les grands opérateurs du funéraire. « Pour les mêmes prestations, leurs devis sont souvent 1 000 euros plus chers que chez un indépendant. »indique l’agent funéraire.

 

      « Les prix des pompes funèbres ne sont pas encadrés. »

 

 « Pour une inhumation, la tendance est au cercueil en chêne, détaille Frédéric. En premier prix, le tarif fournisseur est autour de 400 euros. Ce même cercueil sera revendu autour de 800 voire 1 000 euros chez une pompe funèbre indépendante, et à 1 500 euros chez un grand opérateur funéraire.«  Sur les devis, les frais sont divisés en deux parties : les prestations « obligatoires », dites courantes et celles « complémentaires ». Dans la deuxième catégorie on trouve entre autres le capiton de cercueil, le maître de cérémonie ou les faire-parts. C’est aussi dans cette colonne du devis que se trouvent les soins de conservation. Non obligatoires, ils s’élèvent sur notre première facture à 360 euros, chez Frédéric ils sont à 120 euros pour une marge de 60 euros. En tout sur notre modèle de devis, ces frais additionnels font augmenter notre facture de 1 700 euros.

« Les prix des pompes funèbres ne sont pas encadrés » précise la juriste et maîtresse de conférence Lisa Carayon. Elles sont uniquement soumises aux règles du droit de la consommation, et tenues de proposer un devis gratuitement aux familles endeuillées.

Des familles abusées

 

Or les proches sont dans « une situation de grande vulnérabilité » alors qu’ils doivent opérer des choix dans des délais très courts pointe un rapport de la Cour des Comptes en 2018 : choix des pompes funèbres, du cercueil, des fleurs, etc. Lorsqu’une personne décède, les obsèques doivent être organisées entre 24 heures et 6 jours ouvrables après constatation du décès. Un délai court par rapport à nos voisins européens. Au Royaume-Uni et en Allemagne, une inhumation peut se faire entre 8 et 14 jours et en Suède jusqu’à un mois. Ce qui laisse plus de temps aux familles pour choisir l’établissement qui s’occupera des obsèques.

Un manque de temps et d’information qui peuvent avoir des conséquences dramatiques déplore Frédéric. « Un jour une famille m’a fait faire un devis à 6 500 euros. Ce qui est déjà énorme pour ce que nous proposons. Pour se décider ils ont été chez un grand groupe de pompes funèbres. Sur leur facture figuraient les mêmes services, mais pour 11 500 euros. Pour leur faire signer rapidement, ils ont fait croire à la famille qu’ils devaient organiser les obsèques dans les 48 heures après le décès. » Sur notre modèle de devis, la facture s’élève à 4 631 euros. Mais en bons commerçants, les pompes funèbres nous ont offert les faire-parts de remerciements.

Ces grands groupes funéraires sont dirigés par des fonds d’investissements. Récemment une société canadienne de capitaux a racheté 30% des parts du groupe Pompes Funèbres Générales. On observe le même schéma chez son concurrent Roc Eclerc qui fait partie d’un portefeuille possédant aussi la Société des Crématoriums de France (40 crématoriums sur le territoire). Ce groupe dégage 15 à 20% de croissance par an, soit 40 millions d’euros d’excédent brut. « C’est une rentabilité sans risque » commente Michel Kawnik. L’INSEE prévoit à l’horizon 2050 770 000 décès par an. Le secteur du funéraire qui pèse déjà 2,5 milliards d’euros ne devrait pas connaître de crise.

Les cimetières affichent complet

 

Mais avant de trouver le repos éternel dans l’un des cimetières parisiens, il faut mettre la main sur une concession. En 2017, seulement 171 dans les 14 cimetières intramuros étaient libérées pour les quelques 5 000 demandes d’achat. Selon une agente funéraire de la mairie, « c’est comme lorsque l’on visite des appartements à Paris : il y a la queue jusqu’au bout du couloir ».

Avant 2002, les cimetières de la capitale offraient uniquement des concessions perpétuelles. C’est-à-dire pour une durée indéfinie. Depuis, les emplacements peuvent être occupés pour 10, 30, 50 ans ou à perpétuité, mais uniquement pour des Parisiens. La ville hérite aujourd’hui de ce lourd patrimoine alors qu’il faut faire de la place dans les cimetières. Car les monuments perpétuels sont difficilement récupérables. Pour que la concession soit remise en vente, il faut qu’elle soit constatée en état d’abandon. Au bout de deux ans, si la famille ne réagit pas, les corps sont exhumés, placés à l’ossuaire et l’emplacement remise à la vente.

Sur le site de la mairie de Paris, aucune mention « complet » n’indique ce problème de place. Pour trouver une concession, il faut contacter les 14 cimetières de la ville un par un. Le jour de l’enquête, seulement deux disposaient d’emplacements pour enterrer des urnes. Et pour en bénéficier, c’est uniquement sur décès, il est impossible d’acheter sa dernière demeurre à l’avance. « C’était un choix politique de la mairie à court terme, elle fonçait droit dans le mur. Maintenant la catastrophe est là » pointe Michel Kawnik.

Si l’on réussit tant bien que mal à obtenir un emplacement, il faut se pencher sur les prix. Comptez plus de 15 000 euros pour une concession perpétuelle intramuros, 4 500 euros pour 50 ans, 2 800 pour 30 ans et 830 euros pour 10 ans. Si les tarifs sont si élevés, c’est parce qu’ils sont indexés sur ceux de l’immobilier, mais aussi à cause du jeu de l’offre et de la demande. Conséquence, entre 2008 et 2015, le conseil municipal de Paris a augmenté les tarifs des concessions perpétuelles de 40%.

Repos en seconde zone

 

Pour Michel Kawnik, « les familles sont mises au pied du mur ». Si elles ne disposent pas de concession avant le décès du proche, et qu’aucune place n’est disponible à Paris, elles se voient alors proposer l’un des six cimetières extramuros : Bagneux, La Chapelle, Ivry, Thiais, Pantin et Saint Ouen. « Mais ces cimetières n’ont pas le même charme, ni les mêmes facilitées de transports… Cela conduit à de véritables drames » témoigne le président de l’AFIF.

      « Tous les marginaux sont mis à la marge de Paris. »

À la nécropole de Montparnasse, des dépliants tentent de faire connaître ces cimetières aux parisiens. On parle de « vastes espaces paisibles », « à l’abris de l’agitation urbaine », bref « de véritables havres de paix ». Pour séduire les potentiels résidents, on évoque pour chaque lieu les personnalités qui partageront avec vous votre repos éternel : la peintre Suzanne Valadon à Saint-Ouen ou le cinéaste Jean Vigo à Bagneux.

Selon Lisa Carayon, les différences entre les vivants se poursuivent jusque dans la tombe. Thiais par exemple est le seul cimetière parisien à disposer d’un carré musulman, les monuments y sont orientés vers la Mecque. C’est également ici que sont dispersées les cendres des corps donnés à la science et où sont inhumés les corps des indigents. « Tous les marginaux sont mis à la marge de Paris » constate la chercheuse.

Hormis la crémation, il existe une autre solution pour trouver le repos éternel entre les murs de Paris. Les gens « obtiennent des coups de pouce… j’ai déjà vu des familles pistonnées par la mairie pour être inhumé au Père Lachaise » témoigne Frédéric. Nous avons essayé de contacter la mairie de Paris, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions. C’est regrettable, elles auraient été nombreuses, très nombreuses.

[1] Le prénom a été modifié.

MATHILDE BARON

 

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