L'ECHO DE LA LYS
 

10 mars 2011

 

 


Que s'est-il passé dans les chambres mortuaires d'hôpitaux ?

 

« Une véritable mafia ! »

 

Un repenti raconte les dysfonctionnements dont il aurait été témoin et acteur durant près de quinze ans. Depuis l'affaire Louvrié, les pratiques scandaleuses des professionnels de la mort sont montrées du doigt

C'est un repenti qui se livre, qui fait son mea culpa sous couvert d'anonymat. Il a pratiqué la reconstruction des corps, pour rendre l'aspect des défunts présentables aux familles.

C'était dans les années quatre-vingt-dix jusqu'en 2005, quand il a quitté la profession. L'affaire Louvrié (le corps d'une mère de famille d'Haillicourt découvert non recousue après une autopsie) ne le surprend pas. Elle ne refléterait qu'une partie infime de pratiques douteuses des chambres mortuaires, selon ses déclarations. Ce qu'il décrit du fonctionnement des morgues ne concerne pas le seul cas lensois, précise-t-il.
 

Pourquoi témoigner aujourd'hui ?

Pour être en paix avec ma conscience. Je ne suis pas fier de ce que j'ai fait, mais je suis sensible aux témoignages des familles qui se posent beaucoup de questions suite à l'affaire Louvrié. Le cas n'est pas unique. Vous pouvez exhumer tous les corps autopsiés, 90 % n'ont pas été recousus. Certains n'ont pas été rhabillés.

Comment expliquez-vous cela ?

Les médecins légistes sont débordés de travail et, à l'époque à laquelle j'exerçais, ils déléguaient auprès des agents d'amphithéâtre, notamment pour recoudre les corps. Chaque mois, cent à cent vingt personnes décédées sont transportées à la morgue. Certaines autopsies sont réalisées par décision du parquet, et d'autres sont pratiquées pour connaître la cause du décès, suite à un traitement médical par exemple. Les médecins légistes demandaient aux agents d'amphithéâtre de les décharger de la reconstruction des corps moyennant un dédommagement. Pour autant, je me souviens de nombreux cas où le travail n'était pas exécuté. Les employés de la chambre mortuaire ont un énorme pouvoir sur le devenir des corps.

Que voulez-vous dire exactement ?

La chambre d'amphithéâtre est le point central des décisions prises pour les défunts. Les agents accueillent les familles mais aussi les professionnels : thanatopracteurs et organismes des pompes funèbres. Durant toutes ces années pendant lesquelles j'ai exercé, j'ai vu des agents d'amphithéâtre influencer les familles pour prodiguer des soins sur le défunt. Même si le corps n'en avait pas besoin. Ils n'avaient aucun scrupule à organiser une mise en scène afin de convaincre les familles. Pour bénéficier du travail à réaliser, les professionnels devaient verser une somme d'argent aux agents d'amphithéâtre. C'était la règle, sinon pas de travail et parfois des représailles pour percevoir l'argent. C'était une forme de racket organisé. À l'époque, je devais verser 5 à 6 euros par corps pour les soins. C'est une véritable mafia.

Quel message adressez-vous aux familles endeuillées ?

Je dois raconter comment cela se passait. Je suis sûr que ces pratiques sont courantes dans bon nombre de chambres mortuaires hospitalières. Je n'ai aucune envie de vengeance. Je veux simplement me libérer la conscience et alerter les familles pour qu'elles ne se laissent pas influencer. Elles doivent faire valoir leur droit à choisir l'organisme qui s'occupera de les accompagner dans leurs démarches pour enterrer dignement leur défunt. Si c'est nécessaire, je suis prêt à témoigner devant la justice.

Questions à Thierry Jacquard, responsable de la chambre mortuaire de l'hôpital Henri-Mondor (Paris)

 

Corps non recousus, intimidation, racket : pensez-vous de telles pratiques possibles ?

Cela ne me surprend pas. Fut une époque où des dysfonctionnements ont été pointés du doigt dans les chambres mortuaires et notamment dans la région parisienne. À ce moment-là, nous avons eu le courage de porter une réflexion sur le problème afin d'y remédier. Tout est rentré dans l'ordre. C'était à la fin des années 90 et début des années 2000. Nous avons chassé les personnes qui abusaient du système. Dans d'autres régions, cette prise de conscience semble plus difficile.

Comment peut-on en arriver là ?

La morgue est un milieu obscur. Ce que je peux vous expliquer, c'est qu'il existait un réseau où on attribuait les postes contre rémunération. C'était d'autant plus vrai que la direction n'apparaît pas souvent dans cet endroit. L'administration a laissé faire durant de nombreuses années. Un train de vie s'est mis en place. Le cercle qui s'est forgé est très étriqué. Il fallait payer sa place. À l'époque, cela pouvait représenter 3 000 francs. C'était l'équivalent d'un à deux salaires. Les plus anciens visaient à devenir responsables des chambres mortuaires. Il régnait un omerta couverte par l'administration. Il faut dire aussi que c'est un milieu à part, dans lequel les prétendants aux postes ne se bousculent pas.

Quels sont les moyens de remédier aux dysfonctionnements ?

Ces pratiques sont intolérables et jettent l'opprobre sur la profession. Il faut absolument les dénoncer. Dernièrement, une loi a été votée pour légiférer sur la règlementation à respecter lors d'un décès.


« Logique cascade malsaine de malhonnêteté »

 

Des pratiques mafieuses dans la chambre mortuaire de l'hôpital de Lens ?  D'après le président fondateur de l'Association française d'information funéraire (AFIF), basée à Paris, les propos du repenti sont - hélas - crédibles. Ainsi, Michel Kawnik ne fronce pas les sourcils à l'évocation de possibles mensonges pour vendre des prestations aux familles endeuillées, ni aux allégations de représailles d'agents d'amphithéâtre à l'encontre des pompes funèbres : « Il y a eu dans maints hôpitaux de France des détournements de clientèle, des soultes, des chantages aux sociétés. Quand des agents d'amphithéâtre font le travail des médecins légistes moyennant de l'argent de main à main, si on les laisse faire n'importe avec les corps, je crois logique qu'une cascade malsaine de malhonnêteté ait pu exister. » Michel Kawnik attend que les responsables - médecins légistes et tête d'administration hospitalière -, répondent de ces accusations devant la justice.

S. L.

www.afif.asso.fr

 

 

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