ELLE

Publié le 03 août 2025 à 17h00



Traverser la mort d’une amie : « J’avais l’impression que mon deuil n’était pas légitime »



"C’est comme perdre un compagnon ou un mari, avance Sylvie à propos du décès de sa meilleure amie. C’est peut-être un peu même pire dans le sens où on n’a plus personne à qui parler." -


Alors que les liens d’amitié sont de plus en plus mis en avant, le deuil des amis reste peu reconnu. Marine, 35 ans, et Sylvie, 59 ans, se sont confiées à ELLE sur la perte de leur meilleure amie et le manque de légitimité qu’elles ont ressenti.

Par Lola Uguen

« Je n’avais pas du tout imaginé la possibilité de perdre ma meilleure amie », confie Marine, 35 ans, la voix encore teintée par l’émotion. Cette Normande a perdu subitement sa plus proche amie en février dernier. « Tout part en vrille à ce moment-là. Quand l’amitié est forte, le deuil peut être aussi violent, voire plus, que le deuil d’un membre de sa famille »

Sylvie, 59 ans, a, elle aussi, perdu sa sœur de cœur en début d’année 2022 : « On avait imaginé tellement de choses, on parlait de vieillir ensemble. Et d’un coup, tout ça n’existe plus. Même si on ne le souhaite pas, on se prépare au deuil de ses parents, mais à celui de sa meilleure amie jamais. » Les deux femmes avaient partagé une amitié de quarante ans. « On s’était connues au lycée et depuis, on ne s’était jamais quittées », témoigne-t-elle.

Leur choc et leur tristesse sont les conséquences courantes de la mort d’un proche, juge Emma Girard, psychologue à l’association Empreintes, spécialisée dans l’accompagnement du deuil : « Le processus de deuil est le reflet du lien qu’on avait avec la personne qui est décédée. Un lien amical peut donc être très fort et avoir un impact important pour la personne endeuillée. »

LA PERTE D’UNE CONFIDENTE

Marine comme Sylvie disent toutes deux leur douleur d’avoir perdu celle qui était, à leurs yeux, leur « confidente ». « C’est ce qui est le plus dur. Il n’y avait pas de tabou entre nous », explique la première. « C’est comme perdre un compagnon ou un mari, avance Sylvie. C’est peut-être un peu même pire dans le sens où on n’a plus personne à qui parler. J’ai d’autres copines mais ça n’est pas pareil. De 16 à 55 ans, ça fait beaucoup de temps. Il y a eu les enfants, les mariages, les divorces... »

                      J’AI TOUJOURS DIT QUE C’ÉTAIT MA PLUS LONGUE HISTOIRE D’AMOUR

Chacune a eu l’impression de perdre une partie d’elle. « On faisait tout ensemble, les gens nous connaissaient comme un duo... J’ai toujours dit que c’était ma plus longue histoire d’amour parce que ça allait faire quarante ans », rit Sylvie, qui réside au Mans.

Malgré la force de ces amitiés, les deux femmes ne sont pas toujours senties comprises dans leur deuil. « Il y en a qui m’ont dit que ce n’était que ma meilleure amie », rapporte la Ligérienne. « J’avais perdu mon bébé lors d’une fausse couche quelque temps avant et mes grands-parents ne voyaient que la perte du bébé », regrette Marine.

UN DEUIL NON RECONNU

« C’est un deuil que l’on peut nommer comme non reconnu, éclaire Emma Girard.
De manière générale, la mort est taboue, mais on a tendance à encore moins prendre en compte les personnes qui perdent un ami parce qu’on imagine que c’est moins important. »
Le Code du travail ne donne d’ailleurs droit à aucun jour de repos après la perte d’un ami. « Cela participe à cette non-reconnaissance », affirme la psychologue.

Pourtant, les conséquences existent. « Lorsqu’un deuil est moins reconnu socialement, la personne endeuillée peut ne pas se sentir légitime dans son vécu », poursuit Emma Girard. C’est ce qu’ont ressenti Sylvie et Marine. « Je me suis sentie moins légitime à pleurer », glisse Marine. Pour Sylvie, le chagrin a été « moins évident à vivre ». « C’est comme si je n’avais pas ma place alors que je savais que je l’avais dans le cœur des gens. J’avais l’impression de ne pas avoir de légitimité alors qu’on avait été tout l’une pour l’autre », souligne-t-elle.

À l’association Empreintes, la psychologue remarque aussi que les personnes endeuillées d’un ami se sentent moins légitimes. En 2024, seuls 4 % des personnes accompagnées l’étaient pour un ami, contre 28 % pour un conjoint, 20 % pour une mère ou 8 % pour un fils. « Le fait que ça soit un deuil moins reconnu participe au fait que moins de gens nous appellent. Ça montre aussi que les interlocuteurs avant nous, comme les pompes funèbres, les professionnels de santé, ne le prennent pas forcément en compte », estime Emma Girard.

TROUVER SA PLACE

Parmi les questions qui reviennent pour les amies endeuillées : comment se positionner vis-à-vis de la famille ? « Ça a été compliqué par rapport à la place,j’avais du mal à prendre la mienne. Ses filles étaient dévastées, son mari également. Pour moi, leur deuil était plus important que le mien alors qu’en fait je souffrais aussi », témoigne Sylvie.

                          IL FALLAIT QUE JE SOIS FORTE POUR SES FILLES, SON MARI ET JE ME SUIS OUBLIÉE

C’est ce qui a été à l’origine d’une période de déni pour la Ligérienne. « Il fallait que je sois forte pour les filles, son mari et je me suis oubliée. J’ai connu plein de changements de vie également et je n’ai pas eu le temps de vivre mon deuil », raconte-t-elle. Sylvie « craque » au bout d’un an et entame une psychothérapie. « J’ai compris que je ne me permettais pas de souffrir », se souvient-elle.

Le processus du deuil peut en effet s’enclencher plus tard en amitié. « Trois facteurs peuvent compliquer le processus du deuil : les circonstances du décès, le lien au défunt, les ressources de la personne endeuillée. Donc, à partir du moment où le deuil n’est pas reconnu socialement, cela va colorer son processus. S’il y a des circonstances particulières et des fragilités en plus, les difficultés sont exacerbées », développe Emma Girard.

SOUTIEN DES PROCHES, ACCOMPAGNEMENT PSY ET RITUELS

Malgré le manque de reconnaissance sociétale, Michel Kawnik, président de l’Association française d’informations funéraires (Afif), rappelle que l’amitié a toujours eu une place dans les funérailles : « C’est une notion prise en compte depuis longtemps. Dans une concession de famille par exemple, une personne étrangère peut être inhumée s’il est reconnu qu’elle avait des relations particulières avec celle-ci. »

Pour le président de l’Afif, les amis vont d’ailleurs de plus en plus compter dans des funérailles. « Avec l’éclatement de la cellule familiale, avec le nombre de personnes qui sont seules, un ami, un voisin est de plus en plus considéré comme une personne habilitée à organiser les funérailles. Cette relation est extrêmement importante aujourd’hui », souligne-t-il.

Marine le raconte elle-même à propos des obsèques de sa meilleure amie : « J’ai participé aux frais de l’enterrement et j’étais assise à côté de la famille à l’église. » Cette inclusion et le soutien de ses proches l’aident à traverser cette épreuve. Sylvie, elle, a trouvé un accompagnement auprès d’une psychologue. « Je me dis aussi que ma meilleure amie ne voudrait pas que je me laisse aller », sourit-elle. Emma Girard apporte aussi ses conseils aux personnes concernées. « On peut en parler à des proches si possible et réaliser des rituels – c’est très important dans le processus du deuil », suggère-t-elle. La psychologue encourage enfin à contacter des professionnels de santé ou des associations spécialisées : « Vous êtes tout aussi légitimes. »

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