Du rite aux cérémonies : la personnalisation des funérailles

 

par Madame Laurence Hardy
Sociologue-anthropologue
Chargée de cours, université de Rennes 2
Formatrice en Institut de Formation en Soins Infirmiers
Formatrice en Institut de Travail Social

 

Les funérailles en France se sont très longtemps inscrites dans des rituels [1] religieux formulés par l’Eglise catholique. Ces rites, qui se transforment dans le temps, prennent et ont besoin de temps, représentent une réponse collective à différents événements de la vie et, lors des funérailles, donnent du sens à la mort. En effet, la mort n’est jamais exclusivement considérée comme une donnée biologique –comme « naturelle », « normale »- ; la perte d’un être cher [2]suscite toujours des réactions car la mort est perçue comme inacceptable et remet donc en question l’organisation de la famille, de la communauté de quartier... Les rites s’inscrivent alors dans un processus d’affiliation qui permet de donner une place au défunt en le réinscrivant dans une famille multi générationnelle, dans une communauté religieuse… Le rituel donne du sens à la séparation d’avec l’être cher, en codifiant le temps, en ouvrant sur l’au-delà [3]. C’est donc à la fois une reconnaissance collective et une réponse collective, organisées sous la forme de rites. Les évolutions récentes tendent à transformer ces rites, qui assignent à chacun ce qu’il peut et doit faire, en cérémonies personnalisées.

 

Les classes d’honneur

Jusque dans les années 1970-1975, l’Eglise catholique propose une organisation des funérailles basée sur un découpage en trois ou quatre classes d’honneur qui prennent en compte la catégorie sociale du défunt et de sa famille ; la « première première » classe est donc réservée aux personnes ayant une position sociale et un patrimoine élevés.

Bien que la messe de funérailles soit la même pour tous, ce qui différencie les classes les unes des autres, c’est l’apparat : le décor à l’intérieur de l’église change, le luminaire est plus ou moins important, le nombre de prêtres, de chantres, de chanoines… varie, tout comme l’heure fixée pour la cérémonie : elles ont lieu le matin, mais plus la classe d’honneur est élevée, plus elle se déroule en fin de matinée. Ce découpage en classes d’honneur se renouvelle au niveau la pompe funèbre : corbillard, tentures…

C’est le prêtre qui décide d’accepter ou  non la messe de funérailles pour le défunt. L’Eglise catholique tend à exclure un certain nombre de personnes, laissant alors des familles endeuillées souvent désœuvrées car, jusque dans les années 1975-1980, la représentation sociale de la « belle mort » se marque par des rites catholiques où le prêtre tient un rôle prépondérant. Sont donc exclus de l’Eglise les suicidés, les enfants non baptisés, les personnes considérées comme « de mauvaise vie »…

En conséquence de quoi, les obsèques civiles sont plus perçues comme une « punition » que comme un véritable choix possible.

 

Vatican II ouvre une brèche

En 1972, la fin du Concile de Vatican II est consacrée aux funérailles et à la mort. C’est lui qui ouvre à la personnalisation des funérailles.

Outre le fait que désormais les messes seront célébrées en langue vernaculaire -et non plus en latin- afin que les fidèles puissent comprendre et donc participer davantage afin qu’ils soient acteurs de leur foi ; c’est tout le discours de l’Eglise qui est modifié : il ne doit plus être axé sur la peur, l’enfer… mais l’espoir dans l’au-delà. Il est retiré aux hommes d’église le droit de juger les fidèles.

Pour estomper le côté macabre, les tentures noires vont de moins en moins être utilisées ; dans la tenue vestimentaire du prêtre, l’étole de couleur noire est remplacée par la couleur violette, symbole de l’espoir. Les classes d’honneur doivent également disparaître.

Vatican II est aussi une ouverture œcuménique et une invitation à ce que les laïcs trouvent leur place dans l’Eglise, à côté du prêtre.

 

Débuts de la personnalisation

Même s’il faut quelques années avant que ces décisions prises lors du concile se mettent vraiment en place -certains prêtres les attendaient tandis que d’autres les redoutaient- ; ce renversement est important.

Ce concile marque le début de la personnalisation des cérémonies d’obsèques. En effet, il n’y a plus la même célébration pour tout le monde puisque c’est avec les proches endeuillés que le prêtre organise les funérailles. Le panagérique [4] est au cœur de la cérémonie : la cérémonie devient un moment unique à l’image de l’unicité du défunt. Au fil des années, l’investissement de la famille va changer tant dans le fond que dans la forme : dans un premier temps, l’Eglise s’organise pour proposer un choix dans les textes lus pendant la cérémonie. Puis, dans un second temps, il est laissé le choix aux proches de proposer musique, chants, textes… A l’inverse des rites qui assignent et dont le déroulement met en scène des gestes, des paroles… précis avec une symbolique particulière; ces cérémonies sont centrées sur le défunt sans forcément l’affilier ni  proposer du sens à la mort – autour de la résurrection, par exemple-.

En parallèle, le rôle des laïcs  s’accentue dans les années 1998-1999 en lien avec leur reconnaissance de plus en plus importante par l’Eglise et du fait de la diminution de nombre de prêtres et leur vieillissement. Aujourd’hui, ce sont des laïcs qui célèbrent les obsèques dans le cadre de cérémonies sans messe. Pour un bon accompagnement, ils suivent une formation sur deux ans et portent souvent un signe distinctif – une croix en cuivre, un émaux…-. Cette présence est possible du fait que la célébration des funérailles n’est pas reconnue comme un sacrement par l’Eglise ; elle peut donc être conduite par un fidèle baptisé puisque toute l’Eglise prie pour le défunt.

 

En resituant ces changements dans la société globale, ce processus s’inscrit dans une « affirmation de soi » très valorisée dans notre société, dans l’individualisation encouragée dans tous les domaines de la vie. Certes la communauté inscrit l’individu dans le groupe, mais les relations sociales se transforment et nous nous inscrivons dans des relations sociales beaucoup moins contraignantes et beaucoup plus mouvantes et  choisies ; mais plus éphémères. La célébration des funérailles garde toute son importance [5] car, comme le montre   le sociologue Edgar Morin, la peur de la mort croît parallèlement à l’individuation : elle est plus intense dans les sociétés modernes où les droits du sujet sont reconnus et consacrés que dans les sociétés archaïques où l’individu n’existe pas sans le groupe.

 

L’éventail des cérémonies s’élargit

Ce sont les associations crématistes qui, dans un premier temps s’inscrivent dans une dynamique de proposition de sens. D’abord par la pratique du testament, elles incitent les personnes à marquer leur choix de la crémation et à signifier leurs volontés. Ensuite, progressivement, elles vont tenter de donner du sens au temps que dure la crémation en encourageant la personnalisation des cérémonies. Tout est alors à créer puisque si l’Eglise autorise la crémation en 1963 [6], il n’y a pas de rite  au sens d’une formule prescrite qui s’impose à tous ceux qui font ce choix. A la place de rites, c’est la personnalisation qui se développe au même titre que celle qui est mise en œuvre par l’Eglise catholique.

 

Très lentement également, le nombre d’obsèques civiles va augmenter. Ce sont alors les entreprises de pompes funèbres, sur demande des familles d’abord, puis un peu plus systématiquement par la suite, qui vont s’inscrire dans la personnalisation afin de prendre le temps de l’adieu qui, jusqu’aux années 1985-1990, ne durait que quelques minutes au cimetière. Des cérémonies personnalisées peuvent être proposées, avec parfois la publication de livrets rappelant la vie du défunt… La participation se fait au cimetière ou, en fonction du désir de personnalisation des proches, dans une salle avant la conduite au cimetière. Des gestes sont ainsi proposés au cimetière autour du sable, de pétales de fleurs… Le modèle se rapproche de modèle religieux qui, en tant que rite, a longtemps donné sens.

 

Des formes cérémonielles ont pu voir le jour comme le Patchwork des noms. Il est apparu à San Francisco en 1980 d’un sentiment de carence : celle, dans la société américaine, de rites correspondants à la spécificité de la pandémie du Sida qui a décimé des réseaux entiers, particulièrement dans la communauté homosexuelle [7].

Le Patchwork des noms est composé de carrés de tissus eux-mêmes constitués de 8 panneaux de 90 centimètres sur 180 cousus ensembles. C’est le Quilt. Chacun de ces panneaux a été réalisé à la mémoire d’une personne décédée du sida, par ses proches, et représente, autour de son prénom, des motifs, des couleurs, des matières qui caractérisent à leurs yeux l’être disparu. Des cérémonies transfrontalières ont pu avoir lieu, sans date fixe. Ces quilts ont alors été déployés dans des lieux publics. Ces manifestations internationales se réduisent ces dernières années du fait de la trithérapie qui a permis de diminuer la mortalité liée au Sida.

 

80% des obsèques sont religieuses

Si la société s’est déchristianisée, malgré cela, les funérailles ont lieu majoritairement à l’église et les personnes –surtout les plus éloignées de l’Eglise- restent très attachées à la présence du prêtre. Cela illustre le besoin d’ancrer le défunt dans une tradition vaguement religieuse, dans le temps long d’une histoire millénaire, bref dans une affiliation. C’est pourquoi la présence des laïcs, même si elle prend de l’importance, est freinée par la résistance des non pratiquants.

Il y a intimisation de la mort dans les sens où les cérémonies rassemblent moins l’ensemble de la communauté - villageoise, de quartier…-  mais des personnes qui appartenaient au réseau du défunt et de ses proches, donc des groupes parfois plus restreints, conçus sur une base affinitaire et élective.

 

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La mort est un fait social dans le sens où elle ne touche pas seulement les proches mais la communauté. Reste que les acteurs de cette communauté ont changé en même temps qu’évolue la société dans son ensemble. Le passage du rite aux cérémonies en transforme de façon importante le sens : le rite assigne tandis que la cérémonie est plus centrée sur l’unicité du défunt.  De nouveaux acteurs du mourir prennent aujourd’hui une place de plus en plus importante : les militants de l’accompagnement des mourants, les partisans de la crémation, les associations en faveur de l’euthanasie, les associations de malades… Ces groupes à caractère cooptatif ont un rôle de plus en plus important aujourd’hui ; les représentations sociales de la « belle mort » et de la « bonne mort » se transforment.

 

[1] Le rite rassemble des gestes, des paroles et des objets ordonnancés par une autorité qui en détient la signification puisqu’elle en a formulé le code. (retour)

[2] Il existe de grandes variations entre la ville et la campagne, entre les grandes villes et les petites villes… (retour)

[3] L’eschatologie traite de la fin du monde, de la résurrection, du jugement dernier. (retour)

[4] Il rappelle les grands moments de la vie du défunt. (retour)

[5] Plus que les autres étapes du cycle de la vie –naissance, mariage…- marqués par la déchristianisation,  80% des funérailles sont religieuses. (retour)

[6] La crémation se développe lentement en France puisqu’elle ne représente que 5% des obsèques en 1988. Ensuite, l’accélération est rapide : 19% en 2001 pour atteindre 24% en 2004. Le nombre de crématoriums a été multiplié par dix en moins de vingt ans. (retour)

[7] La pandémie touche d’abord des groupes sociaux déterminés : homosexuels masculins, usagers de drogues… (retour)

 

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