Jacques GAUTHIER

décédé à Paris le 20 septembre 1993 à l'âge de 36 ans

 

 

« JACQUES, C'ETAIT MON COPAIN ».

 

 

SAMEDI 19 SEPTEMBRE 1993 :

On n’échappe pas à Pasteur ! Au pavillon des pestiférés, quoi que tu fasses, tu entres et tu meurs ; moi-même ai-je failli succomber à la chaleur de la serre tropicale qui mène au pavillon Emile Roux.

 

Jacques, comment as-tu pu en arriver là ?

 

Sucé de l’intérieur, rabougri, vert-de-gris avec de grosses tâches rouges, tu avais l’air d’un vieux clown. Tu ne nous faisais plus rire. A peine trente ans et déjà tes cheveux devenus blancs. Ton thermomètre dans la bouche ne voulait plus dire grand’chose et tu avais déjà non plus, plus grand’chose à nous dire. Chaque regard esquivé, chaque banalité, chaque sanglot ravalé et autant de sous-entendus : « Je t’aime ! ».

 

Jacques, nous as-tu entendus ?

 

Quand je t’ai pris la main, je l’ai sans doute serrée trop fort ; l’émotion ! Tu m’as dit que je te faisais mal, et cette douleur maintenant, je la porte longtemps…ou pas longtemps, je ne sais pas, ça dépendra… Je te dirais bien : « à bientôt », mon vieux complice, mon vieux copain, mais c’est à cause de ce vieux con qu’on dirait alcoolique et qui tache sa soutane en baisant la terre entière au propre, comme au figuré, que je ne suis plus si sûr que Dieu existe et que si tu m’attends quelque part, les portes du Paradis ne s’ouvriront pas sur l’enfer.

 

 

DIMANCHE 19 SEPTEMBRE 1993 :

à 11 heures 30, en général, l’heure de la Messe, tu es parti très seul et très loin.

 

 

VENDREDI 24 SEPTEMBRE 1993 :

Au café du « Père Lachaise », je grattais machinalement les chiures de mouche du comptoir. Le sandwich au jambon n’était même pas bon ; je n’avais pas osé demander des cornichons. Après avoir vidé les poubelles, l’Africain de service grattait son « BANCO » en gueulant déçu : « C’est pas bon, ça !». Toi non plus, Jacques, tu n’avais pas tiré le gros lot. Derrière le zinc, une belle Algérienne au regard de Kabyle vide et bleu, me souhaitait : « Bon appétit » en essayant de ne pas sourire ; il lui manquait deux dents !

 

Je savais que cette journée serait triste mais je ne me doutais pas à quel point sous la pluie, couvait le feu. Mon pauvre Jacques, tu as tellement souffert que les cendres de ton corps maigre n’occuperont guère de place au Columbarium. Avant la mise à la flamme, j’ai à peine eu le temps de te dire qu’au restaurant, Odette avait ôté de son menu, la bavette aux échalotes que tu aimais tant. 

 

Tes cendres volent et les  fleurs se dessèchent lentement aux pieds des « Incinérés Anonymes »  puisque tes parents ne sont pas venus te chercher ; ton répondeur qui n’a pas encore été débranché nous ment tous les jours tragiquement, puisque, NON,  jamais  tu ne nous rappelleras après le « Bip » sonore. »

 

Sorti tout droit du cœur des hommes, le long fleuve laiteux de l’envie, continuera encore longtemps de déverser sa semence de mort et de vie, sur les berges tourmentées de nos passions inassouvies.

 

Je crois que nous portons tous en nous la même douleur…

 

Claude-Alain

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